Merci Bertrand pour le fil !!!
Bon, pour Heinlein.... Les critiques de Sylvain sont en effet celles que j'entends/lis le plus souvent sur Heinlein. Le problème, c'est qu'on tente de le faire rentrer dans une "petite case" réductrice, alors qu'il me semble que la pensée d'Heinlein est un peu plus complexe que cela (c'est toujours le cas dans ce type de critique...).
Racisme : Heinlein est un Républicain, pas de problème là-dessus. Il était un soutien de Reagan. On peut sans peine le qualifier de conservateur. Pour autant, il n'est pas réactionnaire, et encore moins raciste (comme Sylvain le fait lui-même remarquer). Et puis, il y a
Citoyen de la galaxie (qui précède
Etoiles, garde à vous !). Le personnage principal est décrit
a minima (souvent le cas chez Heinlein) et le lecteur de SF moyen de l'époque l'identifie naturellement comme un "caucasien" conforme et bon teint. Jusqu'à ce que le personnage soit explicitement décrit... Heinlein emploie là aussi la satire, aux dépends même de ses lecteurs (éduquer le lecteur, ça fait partie du job...).
Militarisme : oui, le soutien d'Heinlein au programme Guerre des Etoiles de Reagan montre qu'il est pour l'existence d'une armée. Mais chez Heinlein, l'armée a une vocation dissuasive (comme le programme Guerre des Etoiles initialement). Il le dit assez dans
Etoiles... et l'emphase militariste du roman qui s'ensuit dénonce au second degré le lavage de cerveau de la formation militaire (Rico, dans le roman, ne se pose aucune question et son conditionnement est assumé et explicité par l'auteur). Ce n'est pas contradictoire avec le pacifisme de
En terre étrangère. Heinlein n'est pas militariste (au sens d'une société militaire) et nourrit des aspirations pacifistes. Il est toutefois éminemment pragmatique et en aucun cas un utopiste, l'armée est pour lui une nécessité pour le maintien de la paix. C'est bien un cynique, mais par un militariste dans le sens d'une société sous commandement militaire (ou légitimation de la citoyenneté par l'armée - c'est là aussi de la satire).
Libertarianisme : non, vraiment pas. D'abord, un des fondements du libertarianisme est un libéralisme accru fondé sur la propriété individuelle. Heinlein ne parle pas beaucoup d'économie politique, en tout cas ce n'est pas un sujet qu'il développe. Son soutien à Reagan m'incite à penser qu'il est un néo-libéral, point barre. De plus, le libertarianisme préconise souvent (mais pas systématiquement) la disparition de l'Etat, ce qui n'est pas le cas de Heinlein. L'Etat, quelle qu'en soit la forme politique ou la légitimation, existe bien et il ne conçoit pas son absence (même dans
Révolte sur la Lune). Heinlein demeure un Républicain, et c'est sans aucun doute un individualiste. Mais ça, on en trouve dans tous les engagements politiques. Je pense à Norman Spinrad, au hasard...
Sexisme : ce n'est pas parce que Heinlein privilégie les personnages principaux masculins qu'il est pour autant sexiste. C'est sans doute une question d'affinité / de projection de l'auteur. Tout le monde n'est pas D.H. Lawrence !!! Dans
Etoiles..., oui le corps d'infanterie est essentiellement masculin, et les femmes sont pilotes. Elles ne sont pas pour autant inférieures. Il me semble me souvenir que dans le vaisseau de transport de l'unité de Rico, l'organisation est du coup parfaitement matriarcale, avec une révérence sincère des bidasses envers les pilotes. Même chose dans
Citoyen de la galaxie, les femmes sont bien des personnages secondaires (n'étant pas le principal) mais sont à la fois des personnages bien étoffés, essentiels à l'intrigue et indispensables à un héros parfois justement plus passif...
La critique contre Heinlein ne me dérange absolument pas - je ne me sens d'ailleurs pas du tout en osmose avec lui... Ce qui me gêne, c'est la volonté à tout crin de vouloir l'enfermer dans une case prédéterminée de réactionnaire. Exactement comme Eastwood : encore certainement un conservateur, mais je doute qu'on puisse qualifier de réac ou de raciste l'auteur de
Chasseur blanc, coeur noir,
Gran Torino et autres (et c'est pourtant ce qu'on entend souvent)... Je ne suis pourtant pas non plus d'accord avec Bernard : être de son temps n'est pas toujours une excuse valable (même si c'est un facteur indispensable à la compréhension). Dès lors que DH Lawrence (un homme !) est capable d'écrire
L'amant de Lady Chatterley en 1928, il n'y a plus d'excuse au sexisme (si tant est qu'il y en ait jamais eu...). Même chose pour le racisme : j'ai beau adorer l'écriture de Céline, il est là-dessus sans excuse.
Ce qui me gêne, c'est vraiment la "petite case" et la négation de la complexité de certaines personnalités. C'est facile, c'est sans doute réconfortant. Je ne cautionne pas pour autant l'engagement reaganien ni le pragmatisme militariste, et d'une manière générale les engagements de Heinlein, mais je ne le qualifierai pas pour autant de sexiste, libertarien ou autre. Je suis d'ailleurs convaincu qu'accepter que les petites cases puissent être débordées donne beaucoup plus d'espoir en l'être humain.
Tiens, d'ailleurs, j'ai cité Norman Spinrad (dont je me sens particulièrement proche pour le coup), et je serais très curieux de savoir ce que tu en penses, Sylvain.
EDIT : désolé pour ce post bien bien long...